Si jodi m'pran bato
Pou'm neye kou cun krapo
Nan mitan vag lamè
Pou m kabre la mize
Si ti moun pa grandi
Si pa menm ret peyi
Si tout bagay kwochi
Menm si w pa janm sezi
Si tet mwen kale
Si'm aprann pou m bliye
Si'm manje nan trata
Si'm pran ranyon pou dra
Si ti nèg lonje kwi
Devan biwo "Loni"
Si lavi'n san zavni
Si Ayiti mouri
Si tet mwen kale
Si'm aprann pou m bliye
Si'm manje nan trata
Si'm pran ranyon pou dra
Si ti nèg lonje kwi
Devan biwo "Loni"
Si lavi'n san zavni
Si Ayiti mouri
Se paske'w detripel
Ou pete blad tetel
Se paske'w esksplawtel
Ou kreve de grenn jel
Ou s'oun papa lanfe
Ma drapo lisife
Alos de syek an syek
Je vel vinn pi akrek
La conscience d'une continuelle injustice historique subie par leur pays est si forte chez les Haïtiens qu'elle constitue depuis longtemps un thème à part entière de leurs productions culturelles. Qu'il s'agisse de la littérature, de la musique ou de la peinture, c'est bien cette mémoire d'une émancipation du joug esclavagiste dont le pays a dû supporter les conséquences, y compris financières, qui irrigue à la fois le sentiment de fierté nationale et le sentiment, pour reprendre les mots d'Édouard Glissant, d'avoir dû "acquitter l'audace" d'une décolonisation anticipée.
En Haïti, les écoliers apprennent dès l'école élémentaire l'histoire tumultueuse de leur pays et acquièrent tôt ce sentiment de fierté nationale. Dans l'histoire politique d'Haïti, les dictatures des Duvalier père et fils ont su se servir de ce levier d'appartenance à un destin collectif héroïque, pour asseoir leur pouvoir. Mais bien au-delà, les figures héroïques des pères de la nation, Toussaint-Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe, Alexandre Pétion, ont toujours été mises en avant dans l'imagerie populaire et officielle. La nation haïtienne, dans son fondement identitaire, se définit dans la mémoire vive du crime esclavagiste et de l'héroïsme de ses pères fondateurs, anciens esclaves pour la plupart. Cette représentation est tout de suite perceptible à Port-au-Prince devant le symbole du pouvoir, le Palais national détruit lors du tremblement de terre de 2010, mais qui sera reconstruit. Devant le palais, trône la statue du "Nègre marron", emblème héroïque premier de l'arrachement à la servitude.
Le souvenir de la colonisation française (souvenir inoubliable ne serait-ce qu'avec la "rançon d'indépendance"), la férule américaine assortie de plusieurs occupations militaires, la férocité inouïe des dicatatures duvaliériste (sans oublier les dérives autoritaires des mandats de Jean-Bertrand Aristide) ont renforcé au gré du temps le vif sentiment d'humiliation des Haïtiens, celui justement de cette injustice permanente. Dans l'indifférence quasi-générale des grandes puissances et des puissances régionales, Haïti combat jour après jour une misère et un sous-développement qu'on ne cesse de dire "endémiques" sans compter les catastrophes naturelles à répétition.
Dans les années soixante-dix et dans les années quatre-vingt, des milliers de boat people haïtiens s'échouaient sur les côtes de Floride. Des milliers de pauvres gens fuyant la dictature et la misère et cherchant refuge aux États-Unis. Aujourd'hui, c'est au tour de l'Europe méditerranéenne de connaître ce qu'on nomme l' "afflux" des migrants. De toute évidence, les phénomènes se répètent au gré des décennies et des contextes géopolitiques. Les aides au développement sont-elles à la hauteur de ces urgences-là ?
Il y a queques années de cela, le musicien Beethova Obas a su synthétiser à merveille ce sentiment d'injustice si vivement ressenti par les Haïtiens, dans une chanson célèbre intitulée Si, au texte très politique. Cétait en 1994, et ce très beau texte n'a rien perdu ni de sa justesse ni de son actualité.
LE SENTIMENT D'INJUSTICE DES HAÏTIENS
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Sujet du JT de France 24 du 12 mai 2015 : l'ambiance
lors de la visite de François Hollande en Haïti.
Huffington Post, 12 mai 2015 : "François Hollande en Haïti sur fond de polémique sur l'acquittement de la dette"
France 24, 13 mai 2015 : "François Hollande en Haïti esquive l'épineuse question de la dette française"
Les réactions ont été très nombreuses dans la presse, à propos du positionnement de François Hollande vis-à-vis de la question de la dette haïtienne. Choix d'articles.
"La terre matrice des pays antillais, Haïti.
Qui n'en finit pas d'acquitter l'audace qu'elle eut de concevoir et de faire lever la première nation nègre du monde de la colonisation.
Qui depuis deux cents ans a éprouvé ce que Blocus veut dire, chaque fois renouvelé.
Qui sans répit souffre ses campements et sa mer folle, et grandit dans nos imaginaires.
Qui a vendu son sang créole un demi-dollar le litre.
Qui s'est distribuée à son tour dans les Amériques, la Caraïbe, l'Europe et l'Afrique, refaisant diaspora.
Qui a consumé tout son bois, marquant de plaies arides l'en-haut de ses mornes.
Qui a fondé une Peinture et inventé une Religion.
Qui meurt à chaque fois de débattre entre ses élites nègres et ses élites mulâtres, tout aussi carnassières.
Qui a cru qu'une armée était faite de fils de héros.
Qui a charaoyé des mots beaux ou terribles, le mot macoute, le mot lavalass, le mot déchouquer."
Édouard Glissant, "La terre matrice des pays antillais, Haïti"
Traité du Tout-Monde (Paris, Gallimard, 1997)
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Sujet du JT d'Audrey Pulvar sur I Télé, le mardi 12 mai 2015 : les
réactions des Haïtiens à l'arrivée de François Hollande.
Indiepensable : "Haïti : le poids d'une dette vieille de 200 ans". Cet article concis et précis du magazine Geopolis de France TV permet de comprendre l'histoire de la "rançon d'indépendance" payée par Haïti à la France.
Dans cette émission de radio enregistrée le 10 mai 2015 après le discours de François Hollande lors de l'inauguration du Mémorial ACTe, les invités ne savent que penser, devant l'importance considérable de l'annonce faite par le président. Encore incrédules, ils s'en félicitent en tout cas, et les historiens contextualisent comme à l'accoutumée, tout en abordant la question des réparations, qui semble se reposer avec acuité. Invités : les historiens Jean-Pierre Sainton (UAG), Frédéric Régent (Paris I) et Mme Valérie Hugues, enseignante à l'ESCPE de Guadeloupe.
Extrait d'une émission de Radio Guadeloupe 1ère après le discours de François Hollande lors de l'inauguration du Mémorial ACTe le 10 mai 2015.
C'est à un strict compte-rendu des faits que nous nous tiendrons ici, à propos de l'épisode assez rocambolesque et finalement malheureux qui a entouré l'un des aspects importants du discours de François Hollande lors de l'inauguration du Mémorial ACTe le 10 mai 2015 à Pointe-à-Pitre. Volontairement, la page proposée ici sera soustraite de tout commentaire de présentation, tant il nous paraît important de s'en tenir aux faits, que nous laisserons à l'appréciation des uns et des autres. Parmi les documents proposés, on trouvera bien sûr en liens certains commentaires suscités par le déroulement même des "événements" ; ces commentaires suffiront en eux-mêmes et il sera inutile d'y ajouter une paraphrase.
Rappelons simplement et brièvement les faits et leurs enjeux : lors du discours prononcé par le Président de la République le 10 mai à Pointe-à-Pitre, une mention devait être particulièrement remarquée, celle de la dette infamante imposée à Haïti par la France entre 1825 et 1952, en guise de "dédommagement" économique des anciens colons français, pour la perte générée par la révolution haïtienne de 1804. Rappelons que cette dette a saigné Haïti et a contribué à l'état de grande pauvreté dans lequel ce pays se trouve aujourd'hui. Rappelons encore que pour les Antilles françaises, seul cas d'une colonisation réussie et aboutie - pour paraphraser Édouard Glissant -, les Békés ont été quant à eux bel et bien dédommagés : déjà l'article 5 du décret d'abolition du 27 avril 1848 le stipulait ouvertement. Dans son discours, retraçant de manière assez fidèle la question de cette dette versée avec intérêts pendant plus d'un siècle par Haïti, le président français conclut en disant, à deux jours de sa visite officielle dans le pays : "Quand je viendrai en Haïti, j'acquitterai à mon tour la dette que nous avons". L'émoi suscité par cette annonce est alors à la mesure de ce qui semble être l'annonce d'un remboursement qui aurait valeur historique. Les chefs d'États présent applaudissent, et le moment marque incontestablement l'inauguration officielle. Mais il n'en est rien : à peine le discours terminé, et devant l'enthousiasme des médias présents, les conseillers de François Hollande s'empressent de préciser qu'il ne saurait être question de rétributions financières, mais d'une "dette morale" - terme utilisé par ailleurs par le président lui-même à un autre moment de son discours. La confirmation du malentendu vient deux jours après quand, lors de sa visite en Haïti le mardi 12 mai, François Hollande se borne à préciser toute une série de mesures visant à accroître la coopération et l'aide au développement envers Haïti (dans les domaines scolaires et des infrastructures notamment). De la dette il n'est plus question, sinon dans cette perspective d'une aide accrue au développement. Mais le malaise est perceptible dès son arrivée à Port-au-Prince : des manifestations interviennent tout au long de son parcours, les médias s'emparent de la polémique et pressent François Hollande de questions lors de sa visite. Dans son discours, le président français en appelle à regarder l'avenir et son homologue haïtien Michel Martelly déclare quant à lui : "Haiïti n'oublie pas mais n'est pas obstinée".
Ce malentendu repose en tout cas avec une acuité toute particulière le débat des réparations, alors même que dans son discours du 10 mai, François Hollande avait réaffirmé son opposition à cette voie qu'il dit pourtant "toujours ouverte", tout en précisant que la France reconnaît en la matière une "dette morale", ajoutant : « la seule dette qui doit être réglée, c’est de pouvoir faire avancer l’humanité. »
En complément, le Mémorial virtuel vous propose ici toute une série de documents, liens, articles, vidéos, documents sonores qui permettront de restituer ces deux jours d'un "malentendu" qui constitue en soi un fait important du contexte qui aura entouré la commémoration du 10 mai 2015.