Tout ceci, c'était compter sans l'avènement au pouvoir de Donald Trump dont l'une des premières décisions a été d'opposer son veto à la résolution du Trésor américain concernant le billet de 20 dollars à l'effigie d'Hariett Tubman.
Dans la réalité comme dans l'imaginaire de la lutte opiniâtre menée par les abolitionnistes, l'épopée humaine que représente l'Underground Railroad, évoquant les fuites de populations esclavagisées dans l'Antiquité, eut dans la conscience populaire et dans les positionnements politiques précédant la Guerre de Sécession, un retentissement considérable. La solidarité des congrégations religieuses, Quakers ou Églises méthodiste et baptiste notamment, s'appuie sur la religosité très forte des fugitifs. La notion même de Promised land, si présente dans les negroe spirituals, doit aussi sa fortune à cette fois des esclaves empruntant l'Underground Railroad, en une terre promise qui, comme dans la
Les Américains ont préféré opter pour Harriet Tubman, même plutôt qu'Eleanor Roosevelt ou Rosa Parks, et c'est dire la place qu'elle occupe encore aujourd'hui dans les consciences outre-Atlantique. C'est dire aussi l'urgence de diffuser la connaissance de son action, hors des États-Unis. Ce choix marque en somme encore un peu plus la reconnaissance du peuple américain pour l'héritage exceptionnel d'Harriet Tubman, née esclave et devenue libératrice.
À propos du processus du choix d'Harriet Tubman pour le billet de 20 dollars, voir (ci-contre) Libération du 20 avril 2016 : "Pour la première fois une femme noire sur un billet américain", article de l'AFP.
La distinction du 20 avril 2016, consistant dans ce choix de l'effigie d'Harriet Tubman sur le billet de 20 dollars est lui aussi particulièrement significatif. Non seulement, bien sûr parce qu'il s'agira de la première femme noire à figurer sur un dollar américain, mais aussi parce que ce choix vient remplacer la figure du Président Andrew Jackson, particulièrement vilipendé de nos jours pour sa responsabilité dans les déportations massives d'Indiens. Un choix qui repose donc en quelque sorte sur une volonté d'inventaire de l'histoire américaine, dans le sens de la célébration d'une figure de la lutte pour la liberté, conforme à l'idéal de la Déclaration d'Indépendance et conforme à la pleine réconciliation de la nation devant le souvenir de l'esclavage - d'autant plus que ce choix découle d'une vaste consultation populaire.
Version française ici.
Retour sur l'expérience de l'Underground Railroad et le rôle
d'Harriet Tubman, au Canada où son souvenir est très vivace.
En 2008, a été inauguré à Manhattanle Harriet Tubman Mamorial, matérialisé par une statue en ganit symbolisant la marche d'Harriet Tubman dans le secours qu'elle porta aux esclaves.
Et le 25 mars 2013, Barack Obama signe une proclamation créant un monument national à Harriet Tubman et à l'Unerground Railroad : le Harriet Tubman Underground Railroad National Monument.
La reconnaissance de la nation
Harriet dit dans sa biographie n'avoir fait que son devoir, se libérant elle-même du joug esclavagiste et aidant les autres à s'en affranchir à leur tour, comme une tâche rude mais naturelle. Cette femme d'action ne rechercha sous aucun prétexte ni la reconnaissance ni la notoriété, qui pourtant lui furent accordés de son vivant. Mais c'est surtout après sa mort, et au cours du XXe siècle que le personnage, quasiment "mythifié" par une part de l'historiogrpahie américaine, va devenir un symbole de la lutte des Noirs américains pour le liberté. Souvent évoquée comme une icône au cours du Mouvement pour les droits civiques dans les années 1950-1960, l'exemple de la lutte incessante menée par Harriet Tubman va être officiellement consacré par deux présidents américains. Tout d'abord, George Bush père proclame le 9 mars 1990 que le 10 mars sera désormais aux États-Unis le Harriet Tubman Day. Voici la déclaration de cette proclamation décisive :
L'édition originale de Scenes of the life of Harriet Tubman, en 1869.
On pourra en lirre de larges extraits ici.
Espionne de l'Union pendant la Guerre
de Sécession, suffragette après la guerre
On ne peut pas imaginer que l'activisme d'Harriet Tubman, ce besoin si profondément ancré d'être utile à la cause de l'émancipation, ait pu cesser aux portes d'une guerre civile ayant justement pour objet l'abolition de l'esclavage. Et de fait, Harriet s'engage comme infirmière auprès des troupes unionistes à Boston, où elle a rejoint des groupes abolitionnistes actifs. En Caroline du Sud, elle procède à un travail d'éclaireur avec son groupe, pour le compte du Secrétaire à la Guerre.
Mais c'est surtout auprès du colonel Montgomery qu'elle effectue un travail de renseignements grâce auquel sera prise Jacksonville en Floride. Elle accompagne par la suite la prise de vastes plantations esclavagistes en Caroline du Sud à Colleton, participant activement à la libération de plusieurs centaines d'esclaves, au prix de combats acharnés. L'héroïsme d'Harriet Tubman est reconnu, et elle conserve dans sa mémoire le spectacle de ces libérations massives d'esclaves, qu'elle racontera plus tard à sa biographe.
Après la guerre, alors qu'elle voit l'esclavage officiellement aboli aux États-Unis pa le vote du 13e amendemment à la Constitution le 31 janvier 1865, Harriet n'abandonne pas la cause de la lutte pour les droits des Noirs, et se lance dans un nouveau combat : celui du droit de vote des femmes. Elle participe activement au mouvement dit des Suffragettes, auquel elle apporte la force du témoignage des engagements de sa vie.
Dès 1869, elle participe à sa biographie écrite par Sarah Bradford, sous le titre Scenes of the life of Harriet Tubman, qui connaît un succès retentissant lors de sa publication. Remariée après la guerre, elle s'installe dans l'État de New York à Auburn, où elle s'implique dans l'aide sociale aux démunis.
Harriet Tubman meurt en le 10 mars 1913 à l'age de 93 ans, ayant traversé le siècle de part en part, des champs de coton du Maryland, à la reconnaissance nationale pour son héroïsme qui lui vaut des obsèques militaires.
Bible, représente et incarne l'émancipation du peuple asservi, promis à une terre libre. Dans certains chants de ces esclaves, le Mississippi est nommé "Jourdain", et d'autres lieux sont également nommés selon des dénominations blibliques. L'héroïsme de ces esclaves en fuite, celui des "conductors", les meneurs de convois comme Harriet Tubman marquent profondément les esprits. À la veille de la déflagration qui va durablement marquer l'histoire américaine en 1861, qui voit éclater la Guerre de Sécession avec en son centre l'enjeu de l'esclavage, ce mouvement massif de populations (on estime en effet à près de 100 000 les esclaves qui auront traversé l'Underground Railroad au cours du siècle, les flux augmentant considérablement dans les années 1840 et 1850), cette longue marche vers la liberté joue un rôle crucial dans la détermination de Lincoln à rendre effective l'abolition de l'esclavage sur tout le territoire.
Tout se passe comme si, au lieu de la freiner dans son entreprise, le risque ne fait que redoubler la motivation d'Harriet, qui va renforcer le langage codé et les signes de pistes mis en place par William Still tout au long de l'itinéraire allant du Maryland jusqu'au Michigan. Lors de l'une de ses expéditions, elle est hébergée avec son groupe de fugitifs, par Frederick Douglass lui-même. Durant ses expéditions dans le Maryland, Harriet met un point d'honneur à aider la fuite de plusieurs dizaines d'esclaves exploités sur les plantations situées dans le proche voisinage de celle des Brodess dont elle était issue, provoquant la rage des propriétaires et poussant son acienne propriétaire, Eliza Brodess, à promettre elle-même une prime pour sa capture.
Le ledarship d'Harriet Tubman va contribuer à partir de 1851, à accroître l'efficacité et l'ampleur de l'Underground Railroad. Chose caractéristique des grandes activistes du marronnage (on peut penser à Flore Gaillard à Sainte-Lucie), Harriet opère un réel travail de conscientisation auprès des esclaves, les exortant à s'arracher de leur asservissement en prenant le risque de la fuite brutale et sans appel. Sa déclaration, selon laquelle elle aurait pu sauver bien plus d'esclaves s'ils avaient su qu'ils étaient esclaves, en dit long sur l'ardeur de cet appel à la liberté qu'inlassablement, elle tente d'instiller dans les esprits des esclaves encore exploités et maltraités sur les plantations. C'est à ce titre qu'Harriet Tubman est à juste titre considérée dans le mouvement d'émancipation, comme l'une des premières activistes politiques des Noirs américains, et que son message de libération sera constamment évoqué pour son exemplarité et sa puissance.
"Mah people mus’ go free"
Le credo d'Harriet sera désormais celui-là, clamé comme une obsession : "Mah people mus’ go free". Car une fois arrivée à Philadelphie après ce périple de plusieurs centaines de kilomètres à travers les bois, les marécages, les chemins escarpés et les souterrains, cette petite femme de un mètre cinquante sept, illetrée, qui porte sur elle les stigmates des violences qu'elle a subies dans sa jeunesse, ne peut pas supporter l'idée que d'autres esclaves, demeurés asservis, ne bénéficient pas de la chance qu'elle s'est donnée. Elle décide donc de se consacrer dès lors au projet démesuré de prendre la tête des convois de plusieurs centaines d'esclaves (les chiffres divergent, mais on estime qu'elle a pu sauver plus de 700 esclaves au cours de ses différentes expéditions), facilitant leur déplacement, les guidant sur ce chemin gigantesque qu'elle a elle-même traversé. Outre sa profonde foi en Dieu, Harriet n'hésite pas à manier le fusil, en précisant : "dead Negroes tell no tales", affrontant directement les chasseurs de primes et les rangers.
De toutes ses expéditions, Harriet Tubman ne perd pas en route un seul de tous les esclaves qu'elle libère de leurs chaînes, et les mène tous à bon port, franchissant même la frontière canadienne. Sa tête aurait été mise à prix pour 40 000 dollars, mais elle ne sera jamais arrêtée par les hordes de mercenaires qui se seront mis à sa poursuite, moyennant le récent Fugitive Slave Act de 1850 durcissant les peines encourues pour les fugitifs.
En guise d'introduction : "Harriet Tubman, espionne et rebelle
dans les champs de coton", chronique de Marc Messier
sur Europe 1, "L'autre actualité", 24 avril 2016.
On est frappé par la violence de la "première vie" d'Harriet Tubman qui en tant qu'esclave sur cette plantation du Maryland et "propriété" de Mary et d'Edward Brodess, elle dut subir la sauvagerie continuelle de traitements dégradants, de coups dont elle gardera à vie les marques, jusqu'à une épilepsie due à un coup violent porté à la tête - alors même qu'elle tente de s'interposer entre un contremaître et un jeune esclave en fuite.
Et puis c'est la fuite, le marronnage brutal en 1849, pour celle qui avait épousé un affranchi vers 1844. Mais c'est un marronnage d'une ampleur disproportionnée, puisqu'avec ses deux frères, elle emprunte le réseau de routes clandestin, l'Underground Railroad qui avait été progressivement mis en place par les esclaves en fuite, sur plusieurs centaines de kilomètres, depuis les États du Sud et tous les États en deça de la ligne Mason-Dixon séparant les territoires esclavagistes et le Nord abolitionniste. Le nom de "Railroad" est trompeur, comme sa traduction française par "chemin de fer", car il s'agissait uniquement d'un nom de code : le réseau était constitué de routes de terre et de tunnels progressivement balisés et construits par les esclaves en fuite depuis le début du XIXe siècle, et empruntés à pied. Certains moyens de transport étaient également utilisés tout au long de ce réseau clandestin, conçu comme une véritable chaîne de solidarité, secondée par les abolitionnistes, les communautés de Quakers entre autres, mais aussi par certaines congrégations religieuses comme les Églises méthodiste et baptiste.
Quand Harriet Tubman emprunte l'Underground Railroad en 1849 (après un retour en arrière décidé par ses frères effrayés par la fuite, elle reprend le chemin de la route clandestine une seconde fois et parcourt près de 300 kilomètres, entre la plantation de Dorchester dans la Maryland et la Pennsylvanie), le réseau est déjà bien organisé, avec ses leaders comme tout particulièrement William Still, militant abolitionniste qui deviendra plus tard le premier historien du réseau). Mais désormais, son destin va être inséparable de celui du Chemin de fer clandestin, puisqu'à partir de 1851, elle va retourner vers le sud pour conduire entre 300 et 700 esclaves vers la liberté, vers le Nord abolitionniste et jusqu'au Canada.
Souvent controversés pour leur qualité inégale, les articles de Wikipédia sont parfois sujets à caution. Dans le cas de la biographie d'Harriet Tubman, l'article (cliquer ci-contre), fondé sur sa version américaine, est construit à partir des meilleures sources historiques provenant des spécialistes qui ont su les synthétiser et les confronter. On peut donc s'y fier sans risque, à propos du parcours de vie d'Harriet Tubman.
La considération pour la mémoire de l'esclavage telle qu'elle est vécue aux États-Unis a parfois quelque chose d'exemplaire, surtout quand on prend en compte la longue et sinueuse trajectoire qui la sous-tend. Dans un pays attaché aux symboles et faisant de ces symboles les signes d'une identité nationale commune dans une organisation fédérale, l'attachement au drapeau, à l'hymne et au billet du dollar, ne sont pas à prendre à la légère si on veut, de l'extérieur, considérer les lignes d'évolution de la société américaine, et la reconnaissance voulue pour une histoire commune (surtout pour une nation marquée par sa guerre civile). Le 20 avril dernier, Jack Lew, le Secrétaire d'État américain au Trésor a annoncé que la nouvelle personnalité de l'histoire des États-Unis dont l'effigie figurerait sur les billets de 20 dollars sera Harriet Tubman, ancienne esclave devenue militante abolitionniste et dont le parcours inouï est inséparable de l'aventure non moins exceptionnelle de l'Underground Railroad. En soi, la biographie d'Harriet Tubman a quelque chose à proprement parler, d'invraisemblable, et on peut parier que le cinémaa s'en emparera un jour, comme Steve MacQueen l'a fait si brillamment avec l'histoire de Solomon Northup, dans 12 years a slave. Tour à tour esclave martyrisée, fugitive traquée, chef d'un vaste réseau de passeurs de marrons, mais aussi espionne pour l'Union durant la Guerre civile, la "Moïse du peuple noir" telle qu'elle est appelée par les Américains, si célèbre aux États-Unis, est pourant beaucoup moins connue en France. Retour sur une épopée fondamentale de la mémoire de l'esclavage.
Un parcours exceptionnel
Parmi les autres grandes figures des mouvements d'émancipation et du courant abolitionniste aux États-Unis, c'est certainement à Frederick Douglass, lui aussi ancien esclave devenu militant, que l'ont peut rapprocher Harriet Tubman. Mais on est rattrapé ce faisant par l'unicité rocambolesque de ce parcours d'une femme martyre puis héroïne, qui dit en lui-même, dans son authenticité historique vérifiée, ce que furent les temps esclavagistes aux États-Unis, et ce que représenta de courage moral et d'engagement physique la lutte d'émancipation menée par les esclaves eux-mêmes et les abolitionnistes. Alors quoi de mieux, dans ce cas, que de se fier aux historiens qui ont su retracer l'ininéraire effectif d'Harriet Tubman, née Araminta Ross vers 1820.
Retrouvez ici un panorama constamment actualisé des différentes initiatives de célébration et de commémoration des mémoires de l'esclavage et de ses abolitions, mais aussi un point sur les nouveautés du site.