À propos de Strange fruit, on consultera le Dossier
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Quelques éléments de cette musique des traces, musique des évocations du passé qui dévoile en lancinations éparses les harmonies d'une mémoire recomposée. Nous vous proposons ici une sélection, notre "playlist" en quelque sorte, qui sera augmentée au gré du temps. Une rubrique donc appélée à évoluer et à s'enrichir.
Note : Linterprétation de David Walters est magnifique, mais à noter qu'il réitère une erreur fréquemment commise à propos du texte (erreur largement diffusée sur Internet sur des sites croyant livrer les paroles de cette chanson) : "Annnou dansé mambo", au lieu de "Annou dansé Kongo". Le mambo n'a rien à faire ici : les danses Kongo et Petwo sont des danses du vaudou haïtien, qui correspondent à des rituels très précis, invocations d'esprits belliqueux. Dans l'histoire de Saint-Domingue, les esclaves déportés de la côte orientale du Congo ont supplanté peu avant la révolution ceux qui provenaient du Golfe de Guinée. Les danses Kongo et Petwo, danses de transes, de subversion et annonciatrices d'un déchaînement de violences, gardent trace de l'insurrection qui se fomente avant le début du processus révolutionnaire, à l'image de la cérémonie vaudou de Bois-Caïman par laquelle va se déclencher la révolution haïtienne le 14 août 1791. Par ces éléments, et sous ses allures d'action de grâce, cette chanson s'identifie en quelque façon à un chant révolutionnaire.
© Institut du Tout-Monde, 2013. Site conçu et réalisé par Loïc Céry
Merci Mon Dieu, voyez tout ce que la nature nous a apporté
Merci Mon Dieu, voyez combien la misère est finie pour nous
La pluie est tombée, le maïs a poussé
Les enfants affamés pourront manger
Dansons le Kongo, dansons le Petwo
Dieu le Père qui est dans le ciel, la misère est finie pour nous.
La misère est finie pour nous
Notre misère est finie
Mèsi Bondyé, gadé tou sa la natu poté pou nou
Mèsi Bondyé, gadé kouman la misè fini pou nou
Mèsi Bondyé, gadé tou sa la natu poté pou nou
Mèsi Bondyé, gadé kouman la misè fini pou nou
Lapli tonbé, mayi pousé
Tou timoun ki grangou p'ralé manjé
Annou dansé Kongo, annou dansé Petwo
Papa Bondyé ki nan syèl, la misè fini pou nou
Misè a fini pou nou
Misè nou fini
C'est en 1956 qu'Harry Belafonte immortalise cette chanson écrite par le guittariste haïtien Frantz Casseus, chanson qui a connu depuis un tel succès à travers le monde, qu'elle a pu être considérée un temps comme emblématique de l'histoire et du destin du peuple haitien. Car ce que ce court texte induit de manière sous-jacente, en une certaine charge symbolique, c'est en somme l'histoire de la libération de l'esclavage consécutive de la révolution haïtienne : "Misè a fini pou nou", leitmotiv du texte, désigne bien cette émancipation qui fait écho à la reconnaissance adressée aux élements et à la Nature, pourvoyeuse de vie.
Une chanson qui a été reprise de nombreuses fois par différents artistes. Ci-contre, la somptueuse et si marquante interprétation originale d'Harry Belafonte en 1956 (avec son accent américain prononcé) ; ci-dessous, une reprise par l'artiste martiniquais David Walters.
"Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l'aurore ?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l'homme aux espoirs éventrés ?
Ils nous disent les hommes du coton du café de l'huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds
Reprennent vigueur en frappant le sol dur."
Léopold Sédar Senghor,
Hosties noires
"Puisqu'on nous a privés de la possibilité de parler notre langue, la musique a longtemps été notre seul langage."
Jackie Mac Lean
Le « migrant nu » après la traversée, avait conservé dans sa mémoire des traces. La trace des sons, non pas les mélodies, mais les rythmes. Pas seulement celles des percussions, mais aussi les souffles et les cordes. Tout ce qui disait au corps ses postures avec leurs musiques. Ces traces même dispersées, se reliaient dans les musiques trouvées, toutes semblables et différentes en même temps. Une écoute ne se dicte pas, elle dérive sur le silence pour entendre.
Cette musique porte en elle la mémoire de la traite transsaharienne : elle est l'héritage des Noirs déportés en Afrique du Nord lors des siècles durant lesquelles ont duré cette traite interafricaine. Les captifs d'Afrique noire déportés en Tunisie ont fondé cette tradition à la fois musicale et spirituelle, relevant d'ailleurs d'un rite magique. Il s'agit d'une musique et d'une tradition profondément syncrétiques, intégrant des éléments musulmans attestant, au fil du temps, l'intégration de ces populations à la société tunisienne.
Quatrième partie de la Médiathèque en ligne : Une musicothèque dans laquelle vous est proposée toute une série de documents sonores relatifs aux musiques liées aux mémoires de l'esclavage.
Je voudrais savoir comment
Ce serait d'être libre
Je voudrais pouvoir rompre
Toutes les chaînes qui me retiennent
Je voudrais pouvoir dire
Toutes les choses que je dois dire
Dire haut et clairement
Pour que le monde entier entende
Que je souhaite pouvoir partager
Tout l'amour qui est dans mon cœur
Supprimer tous les barreaux
Qui nous séparent
Je voudrais que vous puissiez savoir
Ce que c’est que d'être moi
Ensuite, vous verriez et accepteriez
Que tout homme doit être libre
Je voudrais pouvoir donner
Tout ce que je désire donner
Je voudrais pouvoir vivre
Comme je veux vivre
Je souhaite pouvoir faire
Toutes les choses que je peux faire
Et si j’ai bien raison
Je serais le démarrage d'une nouvelle
Eh bien, je souhaite pouvoir être
Comme un oiseau dans le ciel
Comme ce serait doux
Si je trouve comment je peux voler
Oh je m'envolerai vers le soleil
Et regarderais la mer
Alors je chante parce que je sais - oui
Alors je chante parce que je sais - oui
Alors je chante parce que je sais
Je sais comment c’est de se sentir
Oh je sais comment c’est de se sentir libre
Oui oui! Oh, je sais comment c’est de se sentir
Oui je sais
Oh, je sais
Comment on se sent
Comment on se sent
D’être libre
I wish I knew how
It would feel to be free
I wish I could break
All the chains holding me
I wish I could say
All the things that I should say
Say 'em loud say 'em clear
For the whole round world to hear
I wish I could share
All the love that's in my heart
Remove all the bars
That keep us apart
I wish you could know
What it means to be me
Then you'd see and agree
That every man should be free
I wish I could give
All I'm longin' to give
I wish I could live
Like I'm longin' to live
I wish I could do
All the things that I can do
And though I'm’m way over due
I'd be starting a new
Well I wish I could be
Like a bird in the sky
How sweet it would be
If I found I could fly
Oh I'd’d soar to the sun
And look down at the sea
Than I'd sing cos I know - yea
Then I'd sing cos I know - yea
Then I'd sing cos I know
I'd’d know how it feels
Oh I’d know how it feels to be free
Yea Yea! Oh, I’d know how it feels
Yes I’d know
Oh, I’d know
How it feels
How it feels
To be free
Durant la ségrégation raciale issue des temps esclavagistes, qui régnait aux États-Unis jusque dans les années 1960, les lynchages et pendaisons de Noirs dans les États du Sud comme l'Alabama, étaient choses courantes. Le texte de cette célèbre chanson de Billie Holiday dépeint la scène sinistre de ces étranges fruits de sang que portent les arbres dans le Sud.
Quand une autre diva du jazz s'empare de la mémoire de l'esclavage, cela donne, par Nina Simone, How it feels to be free. Filmée ici au Festival de jazz de Montreux en 1976, Nina Simone décline dans les paroles de cette chanson l'aspiration à la liberté sous toutes ses expressions. L'interprétation inspirée, l'élévation tout en retenue ou en force, place cette postulation à la liberté au rang de manifeste contre tous les asservissements.
En s'inspirant d'un discours de Marcus Garvey, Bob Marley a signé en 1979 sans doute la chanson mémorielle la plus saisissante sur l'esclavage. Le texte évoque directement le souvenir de la déportation, et en appelle à la mémoire, à travers le motif de ces "chansons de rédemption" dont le chanteur se fait l'interprète. L'appel à une libération de l' "esclavage mental" est également une postulation à l'émancipation spirituelle et identitaire qu'il reconnaissait dans les figures tutélaires de Marcus Garvey et d'Hailé Selassié, le Négus d'Éthiopie.
Pour Mona
La flûte des mornes
Monte
S’enroule autour du serpent maigre
Escalade les torrents fous
Blues
Blues à boire
Blues à ti-bois
La flûte des mornes force l’énergie
Secoue la crinière des rivières
Bascule le tambour de basse
Baille la voix
Mona
Baille la voix
Les chiens de garde ont peur
Baille la voix
Mona
Bel air de la flûte des mornes
Bel air aux pieds nus
Ballet de bambous
En vérité
En vérité Mona ouvre la tête du morne
Présente au nord
Présente au Sud
Le bouclier des voix nouvelles
En vérité
Flûte de flamands roses
Flûtes des colombes bleues
Flutes des feux de bois brûlés
En vérité
Le grand vertige descend des mornes
Réveille les sept couleurs
Réveille les abeilles
Mona réveille- nous
Réveille-toi
Il n’y pas de point final
Il n’y a pas de note finale
Il y a seulement le morne qui dégringole
Dans le bois brûlé de nos cœurs
La tradition de la "flûte des mornes" en Martinique est en soi un héritage musical qui garde en lui la trace vive d'une mémoire des temps esclavagistes. Cette flûte de bambou traversière pratiquée dans les montagnes de l'île, dans ces bois profonds qui abritent l'âme du pays, est l'expression de la ruralité et ses origines sont lointaines. Les mornes étaient les lieux de refuge des esclaves en fuite, des Marrons, qui ont apporté aussi à cet instrument son aura de légende. Avec Max Cilla, Eugène Mona est certainement le plus illustre représentant de la flûte des mornes, qu'il a contribué à faire connaître. Mona a laissé à ce titre une empreinte incomparable dans la musique antillaise.
Dans "Bwa brilé", l'un de ses titres phares, aux paroles fortes et au rythme lancinant, les évocations de la destinée et de l'Histoire sont claires : le "bwa brilé" symbolise la flûte elle-même mais c'est aussi une image du destin ; il est même question dans le texte, de l'identité telle qu'elle est vécue et telle qu'elle apparaît dans les archives. Un titre essentiel.
Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,
Un corps noir qui se balance dans la brise du Sud,
Étrange fruit suspendu aux peupliers.
Scène pastorale du valeureux Sud,
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Parfum de magnolia doux et frais,
Puis l'odeur soudaine de chair brûlante !
C'est un fruit que les corbeaux cueillent,
Que la pluie rassemble, que le vent aspire
Que le soleil pourrit, que les arbres lâchent
C'est là une étrange et amère récolte.
Southern trees bear a strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black bodies swingin' in the Southern breeze
Strange fruit hangin' from the poplar trees
Pastoral scene of the gallant South
The bulgin' eyes and the twisted mouth
Scent of magnolias sweet and fresh
Then the sudden smell of burnin' flesh
Here is a fruit for the crows to pluck
For the rain to gather
For the wind to suck
For the sun to rot
For the tree to drop
Here is a strange and bitter crop
De vieux pirates, oui, m'ont volé
Et vendus aux bateaux négriers
Aussitôt après ils m'ont jeté dans la cale sans fond
Mais ma main fut fortifée
Par la main du Tout-Puissant
Nous avançons dans cette génération triomphante
Ne voudrais-tu pas m'aider à chanter ces chansons de liberté?
Parce que tout ce que j'ai c'est des chansons de rédemption
Des chansons de rédemption
Emancipez-vous de l'esclavage mental
Personne d'autres que nous-mêmes ne peut libérer nos esprits
N'ayez pas peur de l'énergie atomique
Car personne ne peut arrêter le temps
Combien de temps encore tueront-ils nos prophètes?
Pendant que nous sommes là à regarder
Certains disent que c'est juste un passage
Nous devons suivre le Livre
Ne voudrais-tu pas m'aider à chanter ces chansons de liberté ?
Parce que tout ce que j'ai c'est des chansons de rédemption
Des chansons de rédemption
Old pirates yes they rob I
Sold I to the merchant ships
Minutes after they took I from the bottom-less pit
But my hand was made strong
By the hand of the almighty
We forward in this generation triumphantly
Won't you help to sing these songs of freedom
Cause all I ever had redemption songs, redemption songs
Emancipate yourself from the mental slavery
None but ourselves can free our minds
Have no fear for atomic energy
Cause none a them can stop the time
How long shall they kill our prophets
While we stand aside and look
Some say it's just a part of it
We've got to fulfill the book
Won't you help to sing these songs of freedom
Cause all I ever had redemption songs, redemption songs